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c) Des MENA soutenus par l 'ASBL Mentor Escale membre de la COJ et de la plateforme Mineurs en Exil
Des gamins errant seuls sur les durs chemins de l'exil, on les appelle "les MENA" pour désigner ces "Mineurs Etrangers Non Accompagnés". Nouveau membre de la COJ, Mentor Escale a pour principale mission la " guidance pour jeunes exilés". L'occasion d'aborder le sujet avec eux...

Mentor Escale fait de la « guidance pour jeunes exilés ». C’est-à-dire ?

Nous favorisons l’intégration et l’émancipation des MENA et jeunes adultes primo-arrivants qui vivent à Bruxelles, Namur et à Liège. Concrètement, via un accompagnement individuel psycho-social et des activités communautaires, nous travaillons leur projet de vie. Nous tentons, via une approche englobante (avec le jeune) : d’atténuer leurs difficultés inhérentes à l’exil, de préparer leur prise d’autonomie, de favoriser l’émancipation des jeunes via la construction d’un projet, le développement de leurs compétences et leur projet scolaire, de renforcer autour d’eux un réseau social et de liens… Nous sommes un lieu d’accueil et un relais pour favoriser les transitions réussies, en s’appuyant sur les ressources des jeunes et des partenaires.

Quels sont vos défis ? 

L’enjeu avec les MENA est la recherche d’une solution durable qui leur permettra de grandir dans un environnement sécurisant. Cette recherche peut prendre plus ou moins de temps en fonction du parcours du jeune, de son vécu, de son environnement familial, de son état psychologique, de son apprentissage de la langue et de ses difficultés scolaires. L’accompagnement dans ce processus est crucial, complexe et souvent trop court. Il faut être créatif afin de tenir compte du jeune, de ses besoins, de sa réalité, de son opinion, de son origine, de ses vulnérabilités, mais aussi des possibles et des exigences que la société formule pour lui, tout en préservant son milieu familial et son histoire. L’équilibre à trouver est souvent fragile.

Comment aborde-t-on ces jeunes au parcours singulier ?

En interne, nous travaillons avec des assistants sociaux, des éducateurs, une psychologue, un animateur et avec nos partenaires dans les différentes villes. On accompagne ces jeunes dans tous les aspects de leur mise en autonomie (réseaux, lien social, développement personnel, scolarité, liens familiaux, …) et on maximise le « retour sur investissement » par une meilleure accroche scolaire, une meilleure gestion des « échecs », une stabilité accrue et en conséquence, une prise de confiance en soi. La mise en réseau et la mobilisation des différents acteurs (tuteur, famille, assistants sociaux des centres fréquentés précédemment, école, …) est une partie primordiale du travail. Pour le volet ancrage en Belgique et rupture de l’isolement, nous mettons en place des partenariats qui visent à développer l’interculturalité et la mixité sociale, à donner à nos jeunes la chance de s’ouvrir à la culture, à la musique, à l’art, à découvrir des sports, etc. Autre axe : nous favorisons les partages d’expériences de nos anciens MENA. De plus, pour aider les jeunes réfugiés à trouver une place dans notre société, la collaboration active d’une partie des citoyens est une nécessité. Nous avons développé une approche inclusive donnant la possibilité (autant que faire se peut) aux personnes désireuses de rencontrer ou de soutenir notre public, de s’impliquer dans notre dispositif communautaire (bénévolat, parrainage,…). Toutefois, Il est important de ne pas oublier que les jeunes que nous accompagnons ont tout d’abord besoin d’un lieu où se sentir en sécurité, se reposer et se détendre pour ensuite favoriser l’expression, la rencontre, l’implication.

Quels sont les défis de ces jeunes « MENA » ?

Ce sont des enfants ou – plus souvent – des adolescents qui ont été confrontés à des évènements les contraignant à fuir leur pays pour préserver leur intégrité physique et morale. Le voyage jusqu’en Europe contient son lot d’évènements tragiques, potentiellement traumatiques. Beaucoup de MENA ont à porter une histoire lourde de vécus pré-migratoires et post-migratoires : traumatismes, rêves brisés, incertitudes, insécurités, solitudes.  Au moment de leur entrée dans le pays, ils se heurtent souvent à la barrière de la langue, ils sont face à de nouvelles coutumes, à un système administratif qu’ils ne connaissent pas. Ils sont particulièrement vulnérables et facilement exploitables.

Cependant, ces jeunes, arrivés chez nous, cherchent à reconstruire leur vie. Comme les jeunes nés en Belgique, ils ont besoin d’écoute et d’attention, de sécurité et de perspectives d’avenir. Ils ont envie de pouvoir fréquenter des jeunes de leur âge, rire et s’amuser, d’avoir droit à une vie décente et à l’espoir d’un avenir meilleur. Ce sont des adolescents avec leurs sautes d’humeur, leurs imprécisions/indécisions, leurs désirs/besoins de confrontation auxquels s’ajoutent un vécu et des attentes nombreuses et peu adaptées à leur âge. Cette dualité, c’est-à-dire être un ado parmi les autres (dans le cadre scolaire par exemple) et puis le soir devoir gérer une vie « d’adulte » – sans toujours en avoir les outils – est une des caractéristiques de fond de notre public.

J’ai lu que le « système MENA n’est pas au point ». Qu’en pensez-vous ?

En effet. Comme présenté dans une journée d’étude sur les MENA du UNHCR1 et de la Plate-Forme Mineurs en Exil en septembre 2019, nos recommandations vont dans le même sens que les autres acteurs du secteur. Nous avons interpellé la classe politique sur les éléments d’attention suivants :

• Veiller, tout comme pour l’accueil, à la continuité de la prise en charge, y compris au-delà de 18 ans, afin de pouvoir se fixer des objectifs réalistes à moyen terme.

• Renforcer les capacités et l’accessibilité des services de santé mentale et de soutien psycho-social.

• Veiller à la mise en place de trajectoires scolaires et/ou professionnelles adaptées aux besoins individuels. Nos jeunes sont souvent perdus par rapport à leur obligation scolaire, font face à des objectifs temporels différents, sont confrontés aux parcours non-adaptés à leur réalité.

• Consolider les systèmes des classes d’accueil pour l’intégration scolaire des jeunes : outillage des écoles, nombre suffisant de classes, périodes d’immersion dans des classes et activités scolaires régulières pour faciliter l’intégration

• Soutenir d’avantage les offres de parrainage, de mentorat qui favorisent clairement l’ancrage des jeunes.

A 18 ans, le mineur étranger non accompagné n’est plus considéré comme MENA. Sachant que le secteur jeunesse touche les jeunes jusqu’à 30 ans. Comment faites-vous ?

Chez Mentor Escale, nos jeunes peuvent arriver vers 16 ans en logement de « transition », logement semi-autonome pour une période de 6 mois renouvelable ou non en fonction de leur fragilité et projet de vie. Ensuite ils peuvent passer à un accompagnement social individuel (de 16 ans à 20 ans maximum). Cet accompagnement est accessible également aux jeunes qui sortent des structures d’accueil avec un titre de séjour ce qui leur ouvre le droit à l’aide sociale pour s’installer en autonomie. Cet accompagnement se prolonge volontairement au-delà de la majorité. De plus, une permanence sociale est accessible sans rendez-vous dans nos bureaux pour un public plus large de jeunes adultes (de 18 à 26 ans) ayant besoin d’un point de repère et de soutien dans leurs démarches. Enfin, un pôle « communautaire » (16-26 ans) nous permet de proposer des activités d’animation socio-culturelle et intergénérationnelle à nos jeunes pour favoriser leur ancrage et rompre l’isolement.

A lire les témoignages de ces jeunes qui ont dû prendre l’exil, on ne peut s’empêcher de penser aux traumatismes que cela engendre. Que pouvez-vous dire de ces traumatismes ? Comment travaille-t-on avec ces jeunes-là ?

Différents rapports de la coordination des ONG (www.lacode.be) pour le droit de l’enfant présentent de manière détaillée les problématiques rencontrées par ces jeunes en lien avec leur parcours migratoire.  On constate des troubles de l’attachement (liés à l’expérience brutale de la séparation), des symptômes dits anxio-dépressifs comme de la tristesse, des troubles alimentaires, divers troubles somatiques (mal au ventre, à la tête, problèmes dermatologiques, etc.), ainsi qu’un manque de sommeil, des troubles de la concentration etc. Avec l’effet boule de neige que l’on peut imaginer : mauvaise image de soi, problèmes relationnels, manque d’intérêt par rapport à l’école, etc. Les difficultés psychologiques dues aux ruptures de liens et aux grandes violences du parcours migratoire ont de multiples impacts sur le quotidien de ces jeunes. Nous accordons donc une attention toute particulière sur les relations aux autres, la relation à soi et leur évolution dans l’apprentissage et la scolarité.

Une histoire d’un MENA qui vous a marquée ?

En mai 2019, deux jeunes se sont illustrés lors de l’Electrodéfi de l’édition 2019 des Pluridéfis (concours des métiers de la construction) et des worldskills Belgium. Aussi, plusieurs de nos jeunes brillent au niveau sportif (à Liège nous avons un champion Belge de MMA et de Boxe, à Bruxelles plusieurs coureurs de très bon niveau, …). En fait, les histoires des jeunes sont uniques, leurs parcours émouvants mais nous sommes très impressionnés par leur capacité et leur volonté d’avancer.

Propos recueillis par Nurten Aka

Chaque année, Mentor Escale organise un évènement de soutien à leur association. En 2020, le rendez-vous est au Wolubilis, à Bruxelles, le 12 février, avec la représentation du spectacle Scapin 68, mis en scène Thierry Debroux ou un Molière allumé aux sixties. à ne pas as rater ! www.mentorescale.be

Suite du dossier MENA & Organisations de jeunesse  :

MENA & OJ, une rencontre solidaire et créative

Mineurs en exil: les enjeux actuels

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1. UNHCR : Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

[Témoignage]

« Je viens d’érythrée, j’ai 18 ans. Je suis arrivé en Belgique à 16 ans. Je suis parti de mon pays à cause des problèmes politiques qu’il y a là-bas. Ce n’est pas une démocratie, on ne nous demande pas notre avis. Il n’y a pas non plus d’écoles ou, s’il y a des écoles, il n’y a pas de professeurs. Ça arrive qu’on aille à l’école, mais toute la journée on est enfermé en classe à ne rien faire. Et puis dès qu’on a 18 ans, on doit entrer dans l’armée. C’est un pays dangereux. Il ne reste plus que les parents et les enfants, tous les jeunes sont partis.

Je suis passé d’érythrée en éthiopie, puis au Soudan, en égypte, en Lybie et puis, de Lybie, j’ai été en Italie, puis en France et enfin Belgique. On voyageait parfois en voiture, parfois à pied. On était plusieurs personnes, certaines que je connaissais, d’autres que je ne connaissais pas. En Lybie, c’était très difficile… Ceux qui nous ont amenés dans le désert, ils étaient armés et si on disait quelque chose, ils nous tuaient. Il y avait des femmes avec nous, et ils les prenaient à part et faisaient ce qu’ils voulaient avec elles. Si quelqu’un avait trop soif ou ne savait plus marcher, ils l’abandonnaient. Si quelqu’un voulait s’opposer à ça, ils le laissaient aussi dans le désert.

Pour la traversée vers l’Italie ce n’était pas un bateau, c’était plus… comme un kayak je crois. C’était tout petit, mais avec 400 personnes dessus ou peut-être plus. Je n’ai pas eu trop peur, parce que depuis mon départ j’avais la foi que j’allais réussir ce voyage.

Puis, je suis arrivé en Belgique. Je ne pensais pas que ce serait comme ça. Je ne savais pas comment c’était la Belgique. Au pays, il n’y a pas d’électricité, on n’a pas de télé, alors on ne sait pas. Quand je suis arrivé, il y avait la pluie, la neige, les interviews de Fedasil, l’attente, … ce n’était pas évident.

Ce qui est bien en Belgique, c’est qu’il y a des lois. Et puis les gens aussi. Ce n’est pas comme chez nous, ici, ils ne te dérangent pas. Mais en même temps, c’est bizarre aussi, par exemple, les voisins ne se connaissent pas, ne se parlent pas.

Je viens chez Mentor-Escale depuis huit mois. C’est chouette Mentor-Escale, c’est bien pour moi. Ils m’ont aidé pour plein de choses… pour tout… J’ai pu me faire beaucoup d’amis, à Mentor, à l’école, … En ce moment, je cherche une formation. Je veux être électricien. Je pense que quand j’aurai réussi mes études, je voudrai fonder une famille. »

Nahom

D’autres  témoignages sont à lire sur le site de Mentor Escale : www.mentorescale.be